Les arbres et la bibliothèque
Le chêne et les sons
Les chênes et leur écorce sont très propices à
la lecture.
Quand ils sont au moins centenaires ils
s’élancent vers le ciel pour mieux porter la
voix vers le haut, laissant ainsi à l’auditoire
groupé au pied de l’arbre la parole basse et
sourde des lecteurs.
Le chêne veut que la clameur s’adresse aux
oiseaux.
Ils chanteront plus tard, tels les bouvreuils du
baron Hoffmann, la poésie que leur auront
appris les aînés.
La toponymie a plutôt nommé le chêne gros
que grand.
Enfants nous allions chercher des
champignons au Gros Chêne. Nous
traversions la Loire et c’était au de-là du
Coteau.
Ici juste derrière le Ventoux, il me semble
qu’on a dit : « allons au gros chêne » en y
entraînant le percussionniste, les lectrices et
ceux qui allaient écouter.
La voix claire des deux filles fendait le
bruissement du vent et des feuilles.
Captivée par le texte et les percussions je ne
pensais nullement à la qualité sonore qui
pouvait s’amplifier là-haut.
Ce n’est que plus tard, en y réfléchissant, que
j’imaginais le rôle des branches diffusant le
vacarme qui agitait les oiseaux, leurs plumes
et les feuilles.
Car le chêne était blanc aux feuilles lancéolées
comme un outil musical, vibratoire, que le
son venait heurter.
1Le symptôme du support moteur
Silent, silent, silent bloc !
Absorbez les vibrations
Et si vous entendiez des bruits étranges.
Piégez-les entre deux caoutchoucs.
Si je dis ça, c’est pour la transmission.
Des claquements, des coups ou des
grincements.
Je dis ça pour l’échangeur d’air.
Une fuite du vide et tout de suite des
sifflements aigus.
Bourdonnements, tintements, grésillements,
comme si j’avais les oreilles qui sifflent.
Qui parle de moi ?
La superstition du sifflement dans l’oreille.
Destra ou sinistra, c’est selon.
Vous êtes ici pour dix jours ? on fait le
nécessaire.
Décompression rapide, système
d’échappement, quoi !
Soulagement des tensions,
avec alternance des sons et des silences.
Des rebonds ou le bruit d’un caillou dans
une boîte de conserve, un gros bruit bien
sec.
La cause peut-être d’un silencieux desserré,
et le bruit bleu quand la fréquence
augmente.
J’aurais en fait besoin d’un bruit rose
comme celui d’une cascade ou d’un torrent.
Plus précisément brun rouge qui
proviendrait d’un orage, pour détendre le
cerveau.
T’es sûre ?
Le bruit blanc, le bruit rose, comme les sons
de la nature, comme la pluie ou les vagues.
Le silence régulateur.
2Ça a été long mais on a fini par trouver la
panne.
Trampoline masculin féminin
Noir, sans décor chamanique.
Toile cirée noire.
Tout simplement.
Polypropylène sans doute.
La trampoline, le trampoline, les deux sont
permis.
Le mot trampoline, je cite, a fait son entrée dans
le dictionnaire du français au début des années 1980,
on hésite alors sur son genre.
Trampolino,
Quand j’étais enfant on disait trampolino.
Je croyais que c’était italien comme
Pinocchio,
pour rendre le corps plus agile,
pour l’exercice de sauter et de voltiger en l’air,
pour pouvoir travailler dans un cirque,
selon les Trois dialogues d’Archange Tuccaro
de l’Abruzzo au Royaume de Naples.
Mais on me dit que c’est espagnol, venu du
Mexique.
El trampolin !
En fait tout le monde s’en est emparé.
Les Inuits en faisaient en peau de phoques et
de morses.
Peaux de chèvres, de boucs, de cerfs ou de
vache, même de daims pour le son des
tambours.
Ici au Grand Sault, ce jour-là, le trampoline
change de fonction et devient un immense
tambour.
Les invités se serrent autour et battent la toile.
3Plus souple, moins tendu, le polypropylène
claque et répond. Une toile de saut pour faire
rebondir les sons.
Plus la toile est tendue plus les sons sont
élevés,
Moins elle l’est plus ils sont bas.
Mais sur quel rythme, sur quelles paroles ?
Celles des bâtons parlants ?
Aurait-on osé ?
Aurait-il aimé ?
Oui et non, le battement du temps
L’aiguille à coudre ne fait pas de bruit, elle
répare, elle brode, elle assemble sans
esbrouffe.
De la survie à la vie, souvent, elle répare les
dégâts, disait Louison.
Deux femmes s’expriment, elles libèrent leur
parole.
Dire oui et penser non. Dire oui dire non au
risque de crier.
Guidée par les mains l’aiguille pique, entre et
ressort.
Mise en machine son rythme s’accélère, elle
devient sonore. Elle s’affole. Elle s’emballe.
Les tissus se déchirent, le fil casse.
Du pantographe au programme textile, elle se
calme.
Elle se résigne puis fascinée par les projets
inattendus, elle s’applique, se sent valorisée,
sachant qu’elle aurait tout pu faire à la main
sans bruit.
Chronos, le gousset à la ceinture lui montre
qu’elle a gagné du temps.
4Quercus écoute
Trois pas sur les branches tombées.
Craquements frôlements.
Grelots à la cheville, il tape, il tape du pied.
Il tape du pied et parle, scande, conte et
raconte.
Cassée la branche de l’arbre à grelots.
Piège à sons.
Ils sont tous sortis de la bibliothèque.
Prévert et son dîner de têtes,
Bellmer et ses poupées victimes,
Georgia O’Keeffe et Francesca Woodman,
Nijinsky, le faune.
L’homme tatoué.
Miles pour Louis Malle.
Et le saxophoniste.
Écrire au Grand Sault
Le premier personnage qui a trouvé sa place entre les
arbres dessinés, est le Faune. Il ne s’agissait pas de le
remettre dans le décor de Bakst, mais de le situer au
cœur de ce qu’il y a de plus frappant dans
l’environnement immédiat de ce lieu d’écriture, les
arbres. J’ai tendance à oublier qu’il y en a beaucoup
dans le paysage gouaché que propose Bakst comme
fond possible au ballet voulu par Nijinski à partir du
poème de Mallarmé, L’Après-midi d’un faune. D’ailleurs
lorsqu’on circule dans le paysage peint du futur décor,
on peut aisément s’approprier la promenade qui mène
ici au grand chêne et qui se poursuit jusqu’au plateau
si près du Ventoux qu’on n’en voit pas le sommet.
Avec plus d’imagination on peut considérer que les
hectares cultivés ici en lavande seraient hors-champs,
hors-bords-francs de l’esquisse du décor. Si le paysage
de Bakst n’est peut-être pas de nulle part
géographique, il relève toutefois du Talisman et
s’inscrit dans l’éventail prophétique du nabisme,
même et encore en 1913. Ici la réalité a des
propositions et des proportions étonnantes, les arbres
5sont boursoufflés. Est-ce d’avoir été, un long temps,
oubliés, délaissés, avec des poussées de mélancolie qui
les auraient faits enfler à l’endroit d’un hématome dû
à une compression de l’aubier ? Parfois ça bourgeonne
sur cette protubérance, comme en ce moment. Que
sera la bosse au printemps ? Aujourd’hui les arbres
respirent avec beaucoup d’espace entre les uns et les
autres comme s’ils avaient été plantés de manière
minimale sur un pré rasé. Peut-être sont-ils tout ce
qu’il reste d’un verger planté ? Autres particularités, ce
sont les bourrelets d’ovales et de mandorles vaginales
qui s’expriment à la surface de l’écorce épidermique.
Leurs tores en léger encorbellement, abritent les plis
et les replis d’autant de chambres de cinabre, larges ou
serrées, cachant les mystères qu’y voit notre
imagination.
Les fûts de tous les arbres s’organisent en format
paysage et au crayon noir sur la feuille de papier. S’y
glissent au crayon rouge toutes sortes de personnages
issus de la bibliothèque mise à ma disposition.
Quand je suis entrée dans cette immense salle de
lecture, d’écriture, de répétitions, d’exposition, j’ai su
que c’était là que je m’installerais, alors que j’avais
laissé supposer que la chambre avec son coin bureau
ou même la cuisine avec sa table extensible m’iraient
très bien.
Martine LAFON
Les dessins et les textes ont été réalisés en janvier
2022 au cours d’une résidence d’artiste au Grand
Sault, à Sault, lieu d’échange, de pensée et
d’action, dédié principalement aux écritures
contemporaines, animé par Anne Calas, écrivaine
et chanteuse.