François Rodinson, des images & des mots

RÉSIDENCE DENSE, DANSE DES MOTS, du cadre à la fantaisie, sur les chemins du baroque

 « Et dans quels lieux, Seigneur, l’allez-vous donc chercher ? »

Phèdre, Acte I, scène 1

  Chercher, creuser, trouver des pistes, suivre une intuition, chercher encore et transformer. Penser, réfléchir, expérimenter, ruminer, rabâcher, tourner soudain à angle droit, s’élancer, trébucher, se relever, se faire peur, s’entêter, et puis même, s’il le faut, revenir sur ses pas. Merveilles du principe de résidence où l’on est « à fond », au cœur du projet. Jusqu’à suffoquer, parfois, de se perdre, ouvrir ici et là des béances où l’on plonge, des brèches où l’on s’engouffre. Un miroir sur un mur devient une porte, un passage ouvert sur tout un monde, sur la surface d’un plancher en lignes de fuite où se matérialisent et s’effacent des fantômes, où leur errance prend sens.

Alors, dans ce cadre privilégié, je trouve chez Racine l’hybride et le monstrueux, des personnages avatars de moi-même en métamorphoses et en glissements. Alors apparaissent des ombres qui prennent vie. L’œuvre de Racine, dépouillée de sa raideur de « monument » classique, devient, je crois, dans sa crudité, une nuit tragique trouée de stridences. Se révèle une fascination trouble pour un pouvoir absolu d’une grande cruauté qui pétrifie comme le fait la Gorgone, dans un parfum d’érotisme capiteux qui évoque Baudelaire. Des féminités d’une puissance incomparable, des masculinités aveuglées, des perdus et des éperdues…

            Collusion et collisions de temps où s’entrechoquent en moi les mythes (Icare, Œdipe, le labyrinthe et le Minotaure, Neptune, le fil d’Ariane…), la mode de l’antique au XVIIe, l’écho des longues plaintes tremblées de Sarah Bernhardt (l’un des premiers enregistrements audio de l’histoire), et au loin dans ma petite enfance, la douce voix de mon grand-père féru d’alexandrins qui me berçait avec Racine pour calmer les furieuses angoisses nocturnes qui m’assaillaient. Et puis vinrent Mesguich et Vitez qui me donnèrent le goût du vers à douze pieds et quelques clés pour les appréhender. Tout revient, tout reflue, tout s’agrège. Et toujours l’obsession de restituer tout cela au présent le plus présent qui soit avec ses techniques et ses images…

Enfin, c’est un monstre qui naît dans la représentation que j’élabore, un Frankenstein composite, un Racine au présent, vivant, étonnamment, qui nous murmure à l’oreille, si lointain et si proche pourtant.

 

                                                           François Rodinson, novembre 2025